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Nicolas Barrié : "Les sirènes du port d'Alexandrie" d'Emmanuel Adely - Hacked by Thanos Fz
la collection

BARRIÉ Nicolas - France

 

"Les sirènes du port d’Alexandrie" d’Emmanuel Adely

"C’est au fort de Qait-bey dit-il, c’est incroyable" dit-il, "il y a un aquarium et dans cet aquarium il y a toutes les espèces de poissons de la terre ou de la mer plutôt" il dit "de la mer évidemment dans un aquarium" dit-il "il y a tous les animaux marins et les végétaux de la mer enfin il y a tout vraiment et toutes les espèces et même de celles qu’on ne connaît pas" dit-il avec enthousiasme il fait de grands gestes en souriant il est debout il a chaud et il est rouge d’émotion "oui oui oui" dit-il "et même eh bien parmi tous ces animaux marins il y a et il s’arrête il fait monter l’attente" il dit "vous ne devinez pas hein vous ne pouvez pas deviner" il est heureux et transpire il a vraiment l’air heureux,"il dit c’est ahurissant figurez-vous qu’il y a ici une espèce qu’on ne voit que dans les livres et même dans les livres c’est rare mais ici à Alexandrie eh bien ici il y a des animaux de cette espèce dans l’aquarium du fort de Qait-bey vous ne devinez pas et moi-même je ne le croyais pas mais c’est le docteur qui me l’a dit, un docteur d’ici et vieux et vénérable qui sait de quoi il parle et le monde entier vient ici au fort de Qait-bey voir cet aquarium où on trouve, oui le monde entier et même Cousteau est venu et même les plus grands scientifiques sont, oui pour observer cette espèce qu’on croyait c’est ahurissant je vous dis il y a ici à Alexandrie dans le fort de Qait-bey c’est-à-dire dans l’aquarium du fort de Qait-bey il y a des sirènes et ne dites pas non" il dit aussitôt "c’est le docteur qui me l’a dit il y a des sirènes c’est-à-dire qu’il y a des familles de sirènes de vraies sirènes" il dit "ce n’est pas très grand c’est grand comme un peu plus qu’un hippocampe et il fait le geste d’ouvrir la main entre le pouce et l’index une sirène c’est comme ça et il y a des familles de sirènes oui des familles avec les papas, les mamans, les enfants, les grands-parents sirènes, toute la famille et donc ce sont on ne sait pas ce que c’est vraiment parce que jusqu’à la taille ce sont comme des poissons ils ont des queues de poissons et des corps de poissons mais à partir de la taille ce sont comme des hommes et des femmes et des enfants, en plus petit évidemment en plus petit" dit-il en refaisant le geste de la main entre le pouce et l’index "mais comme des êtres humains normaux le haut c’est comme des êtres humains normaux" dit-il "vous vous rendez compte que ça existe les sirènes et il n’y en a qu’ici à Alexandrie c’est ça qui est prodigieux rien qu’ici à l’aquarium du fort de Qait-bey où tout le monde vient du monde entier pour voir les sirènes" et il s’assied à bout de souffle et il sourit et il est heureux.

On reste silencieux, avec Nicolas on reste silencieux, on se connaît depuis trois jours c’est-à-dire qu’on ne se connaît pas c’est à peine si on s’est parlé et on regarde ce type qui dit qu’il y a des sirènes dans l’aquarium d’Alexandrie et on se regarde et on regarde le type et on reste silencieux ou abasourdis pendant que Nicolas sourit, c’est au bord du fou rire, on peut penser ça, c’est toujours à la limite d’autre chose chez Nicolas le sourire est entre le sourire et le fou rire ou la franche ironie et ça surprend ce sourire presque constant parce que Nicolas parle peu et ça peut mettre mal à l’aise, c’est presque une posture chez Nicolas en trois jours j’ai remarqué ça et je regarde Nicolas regarder le type qui croit qu’il y a des sirènes dans l’aquarium du fort d’Alexandrie et Nicolas reste assis en souriant un long moment sans bouger et c’est exactement à ce moment-là, ai-je compris, que j’ai rencontré Nicolas, à ce moment-là exactement en le regardant regarder, en le regardant travailler ai-je compris aussitôt - le sourire de Nicolas, ce sourire faussement naïf ou volontairement odieux, ce sourire comme un masque ou une provocation est sa façon de constamment interroger l’autre.

Dedans, dehors, la caméra prête à filmer, Nicolas sourit et ce sourire est une question qui modifie l’autre aussitôt et le fait poser, parler, bouger, agir, raconter, rire, ou faire n’importe quoi puisque Nicolas sourit toujours, c’est fascinant, ça a quelque chose de l’ordre de la fascination, de l’arrêt, de l’incitation ou du déclenchement et ainsi les sujets se présentent et s’offrent, derrière la lentille de la caméra on devient des sirènes je dis on, je dis moi, il y a fascination devant l’objectif, quelque chose de l’ordre du primitif, du rapt consenti, puisque Nicolas sourit derrière la vitre de la caméra. Nicolas provoque le monde puisqu’il ne s’en satisfait pas. C’est pourquoi il filme.

 
 
 
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