la collection

LALEU Philippe - France

 

- Titre : Ce couple est un monstre
- Année : 2002
- Durée : 2 min. 42
- Données techniques :
support de tournage : DV
support de diffusion : DV/DVD
couleur, sonore
équipe : Philippe Laleu, Sylvie Bélanger, Brahim Ahouadi

Pavane

Le temps d’une chanson, deux corps sans tête tournent en rond. Rien d’endiablé dans ce rythme de chansonnette française revisitée. Rien de lascif dans cette danse pourtant érotique. Sans émotion ni intrigue, ces corps se présentent dans le simple appareil du désir nous réduisant, avec une impertinence amusée, à un oeil indiscret rivé là où on s’attend à voir quelque chose se produire, en vain. Mimique d’un rock-and-roll un peu mou - alors qu’un slow aurait paru moins décalé par rapport à la petite tenue de ces messieurs - ce pas de deux s’exerce sexes voilés et dévoile du même coup certains stéréotypes qui entourent la danse filmée, une scène de genre qui est essentiellement hétérosexuelle et combien sexuée.

A l’image classique du couple complémentaire de l’homme et de la femme qu’une caméra sans attache suit dans ses tournoiements vertigineux, Philippe Laleu substitue un couple du même sexe aux déhanchements moins gracieux qu’ironiquement maladroits, qui semble respecter une certaine distance sans que l’expression du désir, ne serait-ce que par le regard, contredise la pudeur des gestes. Cadré de la sorte, homothétique mais pas nécessairement homosexuel, animal au sens du rituel toujours vaguement comique de la pavane (qui consiste par exemple, chez le paon, à exhiber une queue splendide en guise d’ornement), le couple ne montre pas autre chose que l’universalité anodine du désir.

Si la tentation immédiate est de donner une dimension homosexuelle à ce couple, force est de reconnaître qu’elle est elle-même victime d’une illusion puisqu’un regard scrutateur ne verra rien d’autre, au bout de 2 minutes 42 secondes, que deux slips blancs bien vierges et immaculés aussi ordinaires et anonymes que le décor dans lequel ils évoluent. Tout au plus révèlent-ils un contraste avec une couleur locale suggestive, quant à elle, de la complémentarité que contredit ce couple “monstrueusement” réduit au même. Rouge et vert, d’un parfait mauvais goût dans sa complémentairité chromatique, le décor minimal qui fait surgir une moquette couleur de pelouse et un fauteuil à oreillettes dans une intimité impersonnelle et froide, qui n’est attribuable à aucun lieu particulier, agit comme un écho visuel grinçant qui souligne l’étrange mariage que constitue une vieille chanson française reprise en arabe.

Cadrés de travers, les protagonistes tanguent sur un plan incliné face à la place inoccupée qu’indique le fauteuil rouge - couleur du désir - avec ses plis qui ne sont pas sans rappeler, assez ironiquement, les draps d’un lit, cette saynète, l’air de rien, nous transporte ailleurs, à contre-courant d’une agitation collective solipsiste que privilégie la mode actuelle des grands rassemblements dansants, dans le dénuement sans dénouement d’une pavane ordinaire où le désir de l’autre se confond avec le désir de soi.

Catherine Bédard

 
 
 
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