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Estelle Pagès : texte - Hacked by Thanos Fz
la collection

ZIEGER Brigitte - Allemagne

 

“ Vénus ”, la première image se fixe sur un cerveau parfaitement modelé, de couleur blanche, posé tel un casque sur la tête de la femme. Cet organe dévoilé, véritable carapace de pâte à modeler va progressivement se métamorphoser. Dans un univers clôt, de couleur orange, face au miroir, le personnage divise dans un premier temps, cette protubérance, en deux parties dessinant ainsi une raie centrale. Puis ses doigts sculptent le cerveau, laissant la trace de leurs passages ; des mèches peu à peu apparaissent. Les gestes sont d’abord lents s’accélérant ensuite jusqu’à ce que naissent une chevelure argentée agrémentée par un fond sonore strident de chants de grillons.

“ Serial Self ”, l’image à l’inverse de la vidéo “ Vénus ” est noir et blanc. Une femme, se regarde dans un miroir. Elle caresse ses cheveux tout en malaxant sa natte courant le long de son épaule. A fur et à mesure de ses gestes, la tresse se déstructure, se dénature quand tout à coup, un pistolet, semblant sortir de sa tête, surgit. Au même instant, une détonation éclate, le visage de la femme est alors entraîné dans une chute lente jusqu’à sa disparition de l’écran.

De l’artiste au modèle.

Dans les deux vidéos “ Venus ” et “ Serial Self ”, Brigitte Zieger en est le modèle. Pour autant, il ne s’agit pas d’autoportraits dans le sens d’un questionnement autour du narcissisme de l’artiste. Elle s’est finalement choisie pour son savoir-faire de sculpteur et par commodité à la manière de certains peintres qui ne pouvant financer de modèles faisaient appel à leur propre reflet pour pouvoir travailler.

L’artiste devient ici acteur et réalisateur d’une fiction qui met en œuvre l’image d’une femme en tant qu’entité d’un générique féminin plutôt que sa spécificité féminine. Par ailleurs, Brigitte Zieger, dans d’autres vidéos, travaille avec des modèles, le plus souvent féminins, auxquels elle demande une conduite et une attitude chaque fois très particulière. Dans “ Fata Morgana ”, l’actrice pose dans un environnement urbain, de façon totalement statique, comme une touriste scrutant l’horizon ou dans “ Props Fiction ” et “ Rez-de- chaussée gauche ”, la comédienne circule dans un appartement tout en effectuant des tâches ménagères tandis que dans “ Soft ” la camera se fixe sur la démarche d’une femme portant des escarpins rouges jusqu’à la chute de son corps au moment où les talons se plient sous son poids.

La présence de modèles ne signifie pas uniquement la collaboration avec des actrices. L’artiste, en effet, réalise régulièrement pour ses vidéos des maquettes, à échelle très souvent réduites qui sont des standards de représentations de paysages. Que ce soit dans “ Props Fiction ” ou “ Travelling ”, avec pour l’un, un chalet Suisse perdu dans les monts enneigés, pour l’autre, une oasis idyllique, stéréotype d’un paysage paradisiaque, ses micro univers sont des éléments perturbateurs, des intrus qui viennent bouleverser un déroulé narratif.

De l’objet à l’accessoire.

Avant de réaliser des vidéos, le travail de Brigitte Zieger s’est concentré autour d’objets qui engendrent des actions et des situations précises. Des armes à la Mercedes, ces objets à forte valeur symbolique ont été réalisés pour certains, à l’échelle un, sous la forme de pièces détachés. Véritable réplique, l’objet, reproduit dans ces moindres constituants au moyen de matériaux pauvres - notamment divers cartons d’emballage venus des quatre coins du monde- est installé désossé comme un jouet à monter. L’objet a toujours sa place aujourd’hui. Plutôt, on pourrait le qualifier de maquette ou d’accessoire. Brigitte Zieger fait muter l’objet/accessoire qui devient le centre d’un basculement, d’une mutation d’un état à un autre état. Le cerveau préalablement modelé qui s’apparente à un casque de protection va se métamorphoser en chevelure tandis que dans l’autre vidéo, la chevelure/natte devient arme à un acte fatal. L’objet est factice. Il est à la fois et prétexte à un simulacre d’une situation qui met en tension les différents passages entre un acte dit banal vers un acte dit magique.

La limite de ces deux moments est extrêmement ténue, car les faux objets ou maquettes qui simulent une réalité sont aussi fragiles que le sujet qui les manipule. Ainsi, nous sommes aux vues des images de Brigitte Zieger, dans un espace du transitoire, de l’incertitude du devenir des êtres aussi bien que des objets.

De la nature à l’artifice.

Si l’ensemble des vidéos de Brigitte Zieger peuvent soit s’inscrire en préalable dans des gestes que l’on pourrait qualifier de naturel ( se coiffer, nettoyer, regarder, marcher) ou que la nature soit présente à travers ses maquettes (le désert, l’oasis, le paysage suisse), c’est pour mieux corrompre cet état. Métamorphoser, distordre et dissoudre le réel. La narration est perturbée par la venue d’intrus, d’anomalies ou d’inversion d’échelle : le paradis terrestre parasite l’espace réel de la Défense (travelling) tandis que le chalet Suisse est en fait installé dans une cuvette de toilette (Prop fiction) ou le paysage désertique n’est autre qu’un chapeau de paille (Fata Morgana)... Ainsi, le phénomène de basculement d’un monde “ macroscopique ” en un monde “ microscopique ” trouble les repères élémentaires d’espace et de temps. L’utilisation de la lumière noire tout comme l’usage de couleurs fluorescentes participent à l’élaboration d’un monde factice. L’ambiance boite de nuit qui permet de révéler les blancs tout en gommant la géométrie d’un espace, le dessine et le structure donc non pas comme une entité palpable mais au contraire lui confère un aspect virtuel et dématérialisé. Par ailleurs les couleurs totalement artificielles avec par exemple le côté métallique de la chevelure ou les vêtements jaune acide dans “ Playtime ” accentuent un aspect futuriste qui renvoie à une esthétique des années 20, époque des ballets mécaniques ou des premiers trucages du cinéma fantastique comme dans Métropolis de Fritz Lang.

De la fiction à la féerie

Les vidéos de Brigitte Zieger forment des fantasmagories qui jouent avec un imaginaire côtoyant la forme du conte, du récit magique. Il ne s’agit pas simplement de mettre en scène le déroulé de gestes et d’attitudes du quotidien mais de renverser ces actes élémentaires pour inoculer l’illusion de prodiges. Créer un monde captivant qui conduit aussi bien au merveilleux qu’aux troubles parfois inquiétants. Le spectateur est régulièrement confronté à des simulations, des glissements, des mutations effleurant une atmosphère de l’étrange qui n’est pas sans rappeler la construction d’une fiction féerique. La féerie s’apparente généralement au fantastique par son contraste avec le réel et le quotidien, tout comme l’univers de l’artiste tente de mettre à l’épreuve le banal.

Brigitte Zieger met l’impossible au service du possible. Ainsi, les images de cet artiste sont habitées de fées du quotidien qui tentent de transformer le monde, de le rendre prodigieux par l’effet de déambulations mentales, de rêves éveillés qui jonglent le vrai et le faux, le concret et le magique, le réel et l’artificiel, le quotidien et l’extraordinaire.

Estelle Pagès

 
 
 
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